"Les Assises de la Télémédecine sont passées à côté du rôle de l’opticien !"
Retour sur les Assises de la Télémédecine qui ont eu lieu le 14 novembre à Caen, co-organisées par l’ARS Normandie et l’Assurance Maladie. Président de l’Association des optométristes de France, Thibaud Thaëron a assisté à la plénière sur la filière visuelle… sans être convaincu.
Fréquence Optic : Que retirez-vous de cette expérience ?
Thibaud Thaëron : Ces Assises de la Télémédecine auraient pu constituer un moment-clé pour la filière visuelle : un temps d’échange, de réflexion et de projection vers une organisation réellement adaptée aux besoins de la population. Nous saluons d’ailleurs l’intention et la démarche… Cependant, le contenu présenté nous a laissés sur une impression mitigée. Une grande partie des échanges s’est concentrée sur des protocoles déjà connus et anciens, notamment le RNO et le RNM. Par ailleurs, l’ARS Normandie a orienté la discussion vers des dispositifs essentiellement issus de son territoire. Nous avons ainsi davantage eu le sentiment d’assister à une mise en avant locale qu’à un véritable débat national sur l’avenir de la télémédecine en santé visuelle. Nous regrettons aussi que, sur 2 h 30 de présentation, à peine dix minutes aient été consacrées au rôle de l’opticien. Cela alors que plusieurs intervenants ont rappelé les difficultés persistantes d’accès aux soins, notamment le manque d’ophtalmologistes dans de nombreuses zones et les tensions de recrutement d’orthoptistes. Ignorer l’opticien dans ce contexte revient à passer à côté d’un acteur déjà présent, opérationnel et utile dans les territoires.
D’autres initiatives impliquant des opticiens auraient-elles pu être évoquées à cette occasion ?
On aurait pu rappeler, c’est essentiel, la situation des personnes âgées en EHPAD ou en établissements médico-sociaux, souvent parmi les plus éloignées de l’accès aux soins. En Auvergne–Rhône-Alpes, un protocole innovant est actuellement en cours pour permettre un dépistage structuré et une prise en charge visuelle à distance de ces publics fragiles. Dans ce modèle, les opticiens jouent un rôle déterminant : leur présence sur le terrain et leur capacité à réaliser des acquisitions d’images permettent de déclencher une télé-expertise rapide par l’ophtalmologiste, sans déplacement pour le patient. C’est une réponse simple, sécurisée et profondément humaine à un enjeu majeur de santé publique.
Vous défendez « une télémédecine plus efficace, plus sûre et plus utile ». Concrètement, ça se traduirait comment ?
Pour avancer de manière constructive, nous proposons plusieurs évolutions simples, sécurisées et immédiatement opérationnelles, au service d’une télé-expertise efficace et d’une véritable politique de « l’aller vers ». D’abord, il faut permettre aux opticiens d’utiliser, dans un cadre strictement défini, les équipements essentiels à une télémédecine de qualité. Il s’agit d’autoriser l’usage encadré de la rétinographie, de l’OCT et de la tonométrie sans contact, comme c’est déjà le cas pour les orthoptistes. Ce sont des actes d’acquisition, pas d’interprétation. Cette évolution améliorerait la qualité des parcours, fluidifierait l’organisation médicale et renforcerait la capacité d’action dans les territoires. Rappelons que les opticiens travaillent depuis plus de dix ans au sein des cabinets d’ophtalmologie, sans aucun incident sanitaire rapporté, et que leur présence ne cesse de croître. Et puis il faut enfin sortir du faux débat sur la séparation prescription-vente qui n’a aucun lien avec la télémédecine. Dans un dispositif de télé-expertise, c’est l’ophtalmologiste qui prescrit. Point final. Instrumentaliser cette question pour bloquer l’évolution de la filière n’a pas de sens. Le sujet est hors contexte et ne doit pas parasiter un débat technique centré sur l’accès aux soins et l’organisation médicale.
On imagine que tous ces sujets seront abordés au prochain Congrès d’Optométrie et de Contactologie...
Cette réflexion ne fait que commencer. Nous aurons en effet l’occasion d’organiser un véritable débat de fond sur ces sujets lors du prochain C.O.C.(25-26 janvier 2026_NDLR), où plusieurs acteurs majeurs de la filière visuelle seront invités à confronter leurs expériences, leurs attentes et leurs propositions pour construire une télémédecine réellement efficace et inclusive.
Pour recevoir les dernières infos, inscrivez-vous à notre newsletter
