Lutte contre la fraude en optique et possibilité d’un renouvellement des équipements étendu à trois ans… voilà deux sujets qui reviennent beaucoup dans les médias et les conversations de la profession. Hugues Verdier-Davioud, le président de la Fédération nationale des opticiens de France, nous donne son point de vue… 

La fraude en optique ? 

« Politiquement, le sujet de la lutte contre la fraude fait consensus. Les pouvoirs publics, les parlementaires, tout le monde veut l’enrayer. Mais concrètement, de quoi parle-t-on s’agissant de l’optique ? Cette fraude, personne n’est en mesure de l’évaluer avec certitude. Il y a bien ce chiffre de 250 millions qui circule [une estimation établie par Santéclair sur la base de ses propres contrôles de traçabilité_ndlr] mais il est à considérer avec la plus grande précaution. La vérité c’est qu’aucun élément, à date, ne nous permet d’infirmer ou de confirmer cette projection… Pour ma part, je voudrais surtout braquer le projecteur sur un texte de loi examiné en ce moment même par les parlementaires. Ce projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales, qui passe un peu sous les radars, mérite toute notre attention. Car il s’intéresse à la nature des données échangées entre AMO et AMC. Éclipsé par les discussions sur le PLFSS, ce texte émane donc du gouvernement qui semble vouloir le faire passer le plus rapidement possible. On y retrouve les vieux réflexes du début de la Macronie : "tambour battant" ! Écrit sans concertation préalable, il soulève beaucoup de questions et je suis sidéré par le manque d’intérêt des professionnels de santé, paramédicaux et surtout médicaux. Le réveil va être brutal pour eux quand ils découvriront que la notion de ‘pertinence de soins’, que nous nous vivons déjà, s’appliquera à leur choix de prescription. Du reste, les patients devraient également s’inquiéter. Parce qu’on ne se soucie pas de leur portefeuille dans cette loi, mais de celui des complémentaires. »

« Dans ce contexte, le travail de la FNOF a consisté ces derniers temps à sensibiliser les élus - qui l’ont désormais bien compris - sur le fait que l’on peut lutter efficacement contre la fraude tout en garantissant la protection des données de santé. Nous avons fait la preuve, depuis plus d’un an, que notre solution de blockchain est bel et bien efficiente. Les pouvoirs publics attendent maintenant une prise de décision au niveau de la filière toute entière. Seulement voilà, la filière traîne des pieds depuis des mois et des mois. Elle réclame de la transparence mais cela ne se traduit pas en actes concrets, ce qui est pour le moins contradictoire. Donc je le redis : notre solution est opérationnelle et prête à être déployée. C’est la seule qui soit dans les clous de la CNIL et sa gouvernance serait complètement neutre puisque toutes les parties prenantes de la filière y seraient représentées… Il ne tient qu’à nous, collectivement, de mettre en application nos exigences légitimes de sécurisation des flux en optique. À défaut, nous serons sous tutelle des réseaux de soin, et on peut se demander si ce n’est pas le pari de certains, pour protéger leurs marges et parts de marché. » 

Bientôt un remboursement des lunettes tous les trois ans ?

« Le remboursement de l’optique pourrait-il passer à trois ans ? On en entend beaucoup parler ici et là, mais il s’agit surtout de rumeurs et d’effets de manche. Pour l’instant, aucun projet ni proposition de loi n’en fait état, sinon une allusion par la ministre de la Santé. Mais élargissons la focale et réfléchissons un peu : comment pourrait-on croire que cette option prenne vraiment forme ? On voit mal des décideurs politiques soutenir une décision en ce sens parce qu’elle pénaliserait trop les Français. Le passage à un remboursement à deux ans, en 2016, a déjà été mal vécu par nos concitoyens ! Comment imaginer qu’ils puissent 'digérer' l’option des trois ans alors que leurs cotisations santé ont explosé ces dernières années, que leurs garanties ont baissé et qu’ils sont taxés de tous côtés ? Et puis on voit d’autant moins les parlementaires soutenir cet allongement du délai de remboursement qu’eux-mêmes bénéficient d’un régime plus avantageux qui leur permet, statut d’élu aidant, de renouveler leurs équipements tous les ans… Il est peu probable que l’électeur goûte cette différence de traitement… »

« Par ailleurs il n’est pas certain, malgré les déclarations très médiatisées de la Mutualité Française, que les complémentaires y soient en réalité  favorables. On sait tous que le panier optique est un élément de différenciation concurrentielle entre elles ; or une bascule à trois ans les desservirait plus qu’autre chose. Cela complexifierait leurs offres, et les assurés, qui mettent toujours plus la main au portefeuille pour des garanties moindres, pourraient vouloir rebattre la donne en matière de contrats santé en changeant d’opérateur, voire en supprimant l’optique des paniers de soins. Bref, pour toutes ces raisons, ce sujet d’un remboursement de l’optique allongé à trois ans ne doit pas, en l’état actuel de la situation, inquiéter la profession outre-mesure. Mais la Fédération reste en alerte sur ce point. Avec cette génération de politiques, tout peut sortir d’une minute à l’autre, il faut voir leur créativité pour nous taxer toujours plus sans avoir commencer à réfléchir à quelles économies pouvaient les concerner… »

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