Regarder au-delà du numérique
Il serait temps d’arrêter de ne parler que de la révolution digitale car à force de tout mettre sur le dos du mot valise « numérique » on oublie qu’il y a d’autres révolutions tout aussi importantes et on finit par conclure qu’en apprenant à chacun à coder on réglera tous les problèmes de croissance, d’éducation et de savoir-faire de la population au travail. Oui, le digital est important mais il n’est que l’une des multiples facettes des révolutions du vingt -et-unième siècle.
Il serait temps d’arrêter de ne parler que de la révolution digitale car à force de tout mettre sur le dos du mot valise « numérique » on oublie qu’il y a d’autres révolutions tout aussi importantes et on finit par conclure qu’en apprenant à chacun à coder on réglera tous les problèmes de croissance, d’éducation et de savoir-faire de la population au travail. Oui, le digital est important mais il n’est que l’une des multiples facettes des révolutions du vingt -et-unième siècle.
Avez-vous récemment visité un salon sur l’électricité ? Ou avez-vous assisté à une conférence sur « Comment l’électricité va changer notre économie et notre société » ? Probablement pas, sauf si « récemment » veut dire 1915. Et pourtant les changements qu’apportent aujourd’hui l’électricité sont considérables, du vélo électrique à l’Autolib ou à la batterie Tesla, aux façons renouvelables de la produire, à l’éclairage des villes par des LEDs ou encore tout simplement parce qu’elle fait tourner les serveurs du digital… Seulement voilà, l’électricité est une « donnée » de notre économie qui est « évidente ». Combien de temps faudra-t-il encore aux dirigeants pour comprendre qu’il en est de même du numérique ? Pour arrêter de se focaliser béatement sur les merveilles du digital et sur les façons dont il va bouleverser notre univers ? Pour comprendre que le numérique est devenu normal ? Comme l’électricité, comme le nucléaire, comme la radiothérapie ou comme l’informatique où la loi de Moore continue de tourner après tant de décennies.
Pourquoi ce n’est plus la question
À se focaliser sur le « tsunami » numérique on finit par tout mettre dedans – même ce qui n’a aucun lieu d’y être – ou par ne pas voir qu’il y a des éléments de bouleversement tout aussi importants pour lesquels le numérique n’est pas plus central que l’électricité. L’imprimante 3D n’est pas beaucoup plus « numérique » qu’une machine outil à commande numérique, pourtant elle va révolutionner l’industrie grâce à de nouveaux usages du laser, à de nouveaux matériaux et à de nouveaux designs de produits. Le graphène et tous les matériaux nouveaux n’ont rien de numérique. La médecine et les neurosciences, même si les chercheurs utilisent des ordinateurs, sont en train de nous préparer des révolutions considérables. Les GPS fonctionnent surtout grâce à des satellites et à de la cartographie avancée, le contenu « numérique » y est aussi marginal que son alimentation électrique. Le smartphone a la puissance d’un ordinateur d’il y a dix ans mais sa vraie révolution vient des Apps et de l’imagination de ceux qui les créent. La plupart des « disruptions » qui touchent nos industries ne sont qu’accessoirement le fait du numérique. Voyons le numérique comme l’un des moyens du progrès mais ne le laissons pas cacher les autres.
Les vraies questions sont ailleurs
Les disruptions viennent en réalité d’ailleurs, même si pour un certain nombre d’entre elles le numérique permet leur application rapide. Elles viennent d’abord de la combinaison de technologies et de facteurs économiques ou sociologiques qui permettent de faire de façon nouvelle des choses anciennes ou de produire des objets et des services nouveaux. UBER est loin d’être seulement une innovation digitale. C’est la combinaison – née d’abord et surtout autour d’un service client qui avait disparu et d’une anomalie de régulation et de marché aberrante – de technologies comme la géolocalisation, le staffing de chauffeurs indépendants, le yield management, les systèmes de paiement automatisés, les Apps, etc. et aussi d’une sociologie où le collaboratif et le collectif sont devenus des valeurs économiques. Si SpaceX devient une vraie entreprise du spatial, si Tesla révolutionne l’automobile électrique ou le stockage d’électricité, si BlaBlacar réinvente le transport en commun, si le système de transport Hyperloop risque de bouleverser certains transports longue distance, ce n’est qu’accessoirement grâce au digital et majoritairement de par l’esprit d’innovation, de combinaison de technologies, de réinvention du service client, du parcours client, et souvent grâce aussi à l’extinction de restrictions administratives aberrantes et désuètes, etc. Et on se demande alors pourquoi cela n’avait pas été fait plus tôt. Oui, le digital a réduit considérablement les coûts de transaction et a permis à certaines innovations d’apparaître plus vite et de façon plus efficace. Il a donc enrichi la possibilité d’innovation mais comme l’électricité le fit avant lui. Ce n’est pas le digital qui inventera le vaccin sur le cancer ou les nouvelles batteries automobiles.
Les objets connectés, autre exemple, sont d’abord des objets ; c’est par leur coté « objets » qu’ils vont changer nos mondes. Bon, ils sont « connectés » et alors ? Nos radios le sont depuis 120 ans. Le volume des connections est beaucoup plus grand, et alors ? C’est par la valeur qu’ils vont apporter qu’ils sont importants et celle-ci ne leur appartient pas, elle appartient à ceux qui vont inventer ces valeurs et leurs usages. Le BigData et l’Intelligence Artificielle ont un fort contenu en numérique mais sans algorithmes, donc sans mathématiques, les BigData ne seraient qu’un paquet informe et l’Intelligence Artificielle n’aurait aucun avenir. Les mathématiques ne sont pas des softwares ou du « digital » mais de l’intelligence humaine.
La vraie question n’est plus dans le numérique mais dans les capacités qu’ont les hommes et les entreprises à combiner des technologies, dont certes le numérique mais pas seulement, et surtout les diverses ressources de l’intelligence, pour changer le monde.
Les réponses sont dans l’humain
Dés lors que l’on accepte de ne voir le numérique que comme un moyen – comme l’énergie, les nouveaux matériaux, la disponibilité sociétale pour un travail collaboratif et une société du partage, etc. – apparaissent les possibilités et les vrais enjeux. Il devient évident par exemple que les savoir -faire de demain ne sont pas que dans le codage mais dans de très nombreux autres domaines. Le codage ne sera bientôt plus qu’une commodité comme une autre. Donner une tablette à tous les écoliers n’est qu’un moyen, mais est -ce vraiment le meilleur pour permettre le développement du talent le plus important, leur créativité ? L’ordinateur sera peut-être un jour plus intelligent que l’homme mais d’ici là l’intelligence de l’homme doit être encouragée, pas seulement ses savoir -faire numériques. La stratégie de toute entreprise ne doit pas être digitale, elle doit d’abord être stratégie de réinvention, elle doit être changement, elle doit encourager la disruption, elle doit remettre en cause les façons de travailler, les structures du travail, les systèmes et procédures qui entourent celui-ci et les éléments de culture interne qui entravent l’innovation. Le digital n’est pas une menace, c’est au minimum une opportunité. La menace est dans la rigidité et le manque d’imagination.
La réponse est forcément d’abord humaine. Il faut permettre à chaque entreprise et à chacun de voir en quoi il est handicapé aujourd’hui par les systèmes et est de fait aveugle aux innovations possibles, en quoi l’obsolescence à laquelle nous sommes tous confrontés n’est ni perçue ni acceptée ni combattue. Si l’on ne fait rien, la disruption viendra de l’extérieur et l’« uberisation » qui nous touchera sera attribuée, à tort, à l’arrivée du numérique alors que sa cause est beaucoup plus simple : le manque de vision et d’imagination des dirigeants et des collaborateurs.
Les politiques de capital humain, élément fondamental de toute stratégie, sont essentielles dans ce contexte mouvant des innovations possibles. Les RH doivent être les catalyseurs des vraies nouvelles réponses. Pour cela, ils doivent s’interroger sur tout ce qu’il faut retirer des organisations actuelles pour libérer l’imagination, plus que de ce qu’il faut y rajouter. Aider chacun à apprendre à utiliser les outils du digital et les y former c’est bien. Mais permettre à chacun de libérer son potentiel, de se libérer de systèmes obsolètes (de contrôles divers et variés, de hiérarchies à l’ancienne ou de formules de développement des savoir-faire par exemple), de regarder en veille permanente ce qui se passe dans le monde et d’imaginer des combinaisons nouvelles de technologies pour offrir de nouveaux produits et services ou de mieux offrir les anciens, c’est mieux. C’est d’autant mieux que chacun, dans sa vie quotidienne, est prêt à imaginer et à utiliser des solutions et des outils nouveaux, chacun les attend même de la part de ses fournisseurs actuels qu’il s’agisse de son transport, de sa banque, de son assurance ou de son matériel de cuisine.
Ce n’est pas le numérique qui est une opportunité (ou une menace), ce sont l’imagination et les luttes contre les rigidités. Elles sont dans les neurones des collaborateurs, pas dans les 0 et les 1 du digital.