Alors que les consommateurs balancent entre « retained shopping » et « revenge shopping », entre retenue et relâchement, les distributeurs et les commerçants cherchent à renouer avec une prospérité perdue, entre doute et espoir.

Alors que les consommateurs balancent entre « retained shopping » et « revenge shopping », entre retenue et relâchement, les distributeurs et les commerçants cherchent à renouer avec une prospérité perdue, entre doute et espoir. Alors que tous les experts prédisent un monde qui change, beaucoup anticipent le retour des habituelles routines qui prennent ou reprennent le dessus. On comprend (ou feint de comprendre) les bouleversements qui s’annoncent sans imaginer une stratégie de changement pérenne. Nombre d’entreprises courbent l’échine, en souhaitant que le couperet de la faillite les épargnera, sans forcément s’échapper du modèle historique de la croissance arrachée à coups de dents.

Le secteur de l’optique-lunetterie se croit ou se rêve plutôt « résilient » parce que sa croissance est organique, liée à la déficience visuelle importante pour ne pas dire pandémique, qui est une formidable rente, inespérée en ces temps chaotiques. Pourtant, il faut se hâter de prendre le temps de comprendre les chamboulements socio-économiques qui vont modifier le paysage. En premier lieu, la reconfiguration de la production et de la distribution. Il y a trop de produits sans valeur stylistique, trop de marques sans histoires, trop de magasins inutiles face à une consommation qui sera en retenue sélective, avec des clients qui seront encore plus exigeants, plus mobiles, plus infidèles. La ô combien fameuse expérience d’achats évolue et se réinvente à l’aune d’acteurs historiques ou nouveaux entrants suffisamment habiles et réactifs pour se rendre attractifs. Or, il n’y a plus la place pour tout le monde, les mous et les faibles vont tomber, les plus forts dotés d’une puissance adaptative seront encore plus forts... Observez le secteur de la mode qui subit de plein fouet la crise : des enseignes s’effondrent déjà comme un château de cartes, d’autres vont suivre, des dizaines de marques ne se relèveront pas, 20 à 30 % des magasins vont disparaître.

Le secteur de l’optique n’en n’est pas encore là (pas encore ?), mais il faut se garder de tout triomphalisme. Avec le soutien de la télé-ophtalmologie, de l’essayage en ligne, des technologies en VR (réalité virtuelle), le e-commerce en ligne va se développer et prendre peu ou prou entre 15 et 20 % de part de marché avant 2025. La demande est réelle, la demande est latente, inutile de se bander les yeux ; les technologies galopent et offrent une expérience d’achat toujours plus affûtée, confortable, sécurisante et avec des contraintes qui se réduisent. Pourquoi aller dans un magasin ennuyeux comme une pluie d’automne face à un opticien qui regarde son client comme un potentiel de marge qu’il va dégager avec sa mutuelle ? Les plateformes mondiales, des market places comme Amazon, Alibaba, eBay, Walmart et autre Shopify ne se sont pas encore vraiment attaquées au secteur de l’optique-lunetterie, mais demain, elles n’auront aucun complexe à proposer des marques et des offres de lunettes pour leurs centaines de millions de clients qui ont des problèmes de vue.

Une évidence qu’on ne veut pas voir, parce que les fabricants de verres et de lunettes protègent les opticiens (ce qui est encore plus vrai en France), parce qu’ils pensent ou feignent de penser qu’il est l’intermédiaire incontournable. Or, dans un monde qui cultive la désintermédiation, ils sont nombreux à vouloir se débarrasser de ce maillon « faible ». Les opticiens doivent faire la démonstration qu’ils maîtrisent l’intermédiation par leurs compétences et leur humanité. Internet demeure un outil d’une redoutable efficacité mais d’une évidente froideur, nous sommes fort heureusement des êtres sociaux où le sourire (même masqué !), l’attention, le respect demeurent des valeurs nécessaires pour que l’expérience d’achat ne soit pas qu’une série de clics fonctionnels.

Les marques et les fabricants, souvent complices de l’immobilisme ambiant, ne sont et ne seront pas épargnés par ces bouleversements, ils doivent s’imposer une profonde réflexion sur leur légitimité à être acteurs d’une filière qui tangue  — sans sombrer — mais où les épaves seront nombreuses à marée basse. Dans un marché où le « trop » domine sur le « bien », un écrémage salutaire et une stratégie produits pertinente vont s’imposer. Reconduire le monde d’hier est la mort assurée, révolutionner le monde de demain est un risque évident, avec un avantage : rester vivant.

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