Le mirage du made in France
Alors que l’économie mondiale s’enfonce dans les ténèbres de la décroissance, des opportunistes distillent leurs stratégies patriotiques en tirant à boulets rouges sur la globalisation et en prônant le retour d’une souveraineté alimentaire, médicale, servicielle, industrielle...
Alors que l’économie mondiale s’enfonce dans les ténèbres de la décroissance, des opportunistes distillent leurs stratégies patriotiques en tirant à boulets rouges sur la globalisation et en prônant le retour d’une souveraineté alimentaire, médicale, servicielle, industrielle... Mot passe-partout, incantatoire et populiste à la fois, la souveraineté permettrait à chaque État de retrouver son autonomie et son destin (supposés perdus), face à des crises mondiales qui semblent échapper à tous. Une posture erronée : nous avons besoin les uns des autres tant les enjeux qui nous attendent sont planétaires, définitivement planétaires. Le secteur français de l’optique lunetterie n’échappe pas aux incantations des « y’a qu’à, faut qu’on » qui s’alarment de notre dépendance étrangère pour la fabrication des lunettes : « y’a qu’à ouvrir des usines, faut qu’on pousse les consommateurs français à acheter français ! » Applaudissements polis.
Depuis les années 80, le tissu industriel hexagonal se délite, les causes sont connues et ressassées : des règlementations ubuesques et changeantes, des charges, taxes et impôts écrasants, des syndicats paralysants, des salariés surprotégés, une formation continue inefficace et déformante, des réformes promises qui n’arrivent jamais, des politiciens ineptes... À cela s’ajoute un problème d’offre. La balance commerciale française est déficitaire depuis de longues années avec des causes structurelles, là aussi connues et ressassées : manque de compétitivité, appareil productif inadapté, rigidité légale, instabilité fiscale, investissements faméliques, produits de qualité moyenne... Le « génie » industriel français se cantonne toujours aux mêmes produits : l’aéronautique, la pharmacie, l’agroalimentaire, les vins et spiritueux et le luxe.
Concernant le luxe, les grandes marques ont depuis longtemps opéré une internalisation de toutes leurs productions sur le territoire français pour préserver leur enracinement historique (on peut les saluer), pourquoi alors ont-elles choisi la destination Italie pour fabriquer leurs lunettes ? Parce qu’elles n’ont pas trouver en France l’agilité et l’appétit d’industriels capables de répondre à leurs exigences. Les Italiens sont devenus leaders dans les lunettes haut de gamme, et le deuxième producteur de montures au monde derrière la Chine. Il y a plus de 50 ans, les producteurs Français étaient en tête, ils sont dans le peloton de queue. La crise actuelle n’y changera rien, car ce n’est pas l’injonction du « made in France » qui permettra de remplir les magasins d’optique de lunettes et de marques diverses en styles et en prix, sans risque de réduire considérablement le choix des clients.
Et ce ne sont pas des éructations patriotiques dans les médias et des pétitions sur internet qui relanceront la machine industrielle. L’heure n’est pas à échafauder des projets hypothétiques d’usines fantomatiques, mais à rouvrir vite (très vite !) les milliers de magasins, à préserver les millions d’emplois du commerce et à inciter les consommateurs à changer leurs lunettes, à dépenser dans des robes et des sacs à main, à acheter des automobiles... made in France ou made in Ailleurs ! Les opticiens, comme les autres commerçants, ont besoin de clients en nombre, des clients dont la souveraineté va s’exercer sur leur portefeuille avec encore plus de pragmatisme et d’exigence.
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