Le made in France en trompe-l’œil
Avec un déficit commercial qui tutoie les 50 milliards d’euros en 2016 (contre 33 milliards en 2015 !), la France continue de perdre inéluctablement des parts de marché.
Avec un déficit commercial qui tutoie les 50 milliards d’euros en 2016 (contre 33 milliards en 2015 !), la France continue de perdre inéluctablement des parts de marché. L’institut CEO-Rexecode s’attend à un niveau de la balance commerciale dépassant les 58 milliards d’euros cette année, un chiffre pourrait s’alourdir si les élections présidentielles mettent au pouvoir les nationalistes totalitaires. La part de la marque France s’effondre depuis 1999 où elle atteignait 17% contre 12,1% en 2016 et aucune embellie n’est prévue pour freiner cette descente aux enfers.
Les industries françaises continuent de s’affaiblir pour des raisons connues et ressassées (coût du travail, réglementation étouffante, fiscalité lourde et instable, incurie politique…) ; sans ignorer que trop de produits français manquent d’attrait à l’étranger parce qu’ils sont jugés trop chers, trop peu différenciants, de qualité contestable et ne répondent pas aux espérances des consommateurs mondiaux.
A l’exception notable des produits de luxe (joaillerie, haute couture, cosmétiques, gastronomie, vins fins…) qui défendent un artisanat singulier, des savoir-faire préservés et développés par des groupes industriels, et dans le même temps, soutenus par des marques iconiques qui portent haut l’art de vivre à la française. L’industrie lunetière peut-elle se prévaloir de cette exception française ? Force est de constater que les licences lunettes des grandes marques de mode et de luxe sont entre les mains des industriels italiens. LVMH a donné le coup de grâce en s’associant avec Marcolin pour développer ses futures licences de lunettes...
Quels industriels made in France peuvent en effet répondre aux attentes de ces groupes de luxe qui exigent une maîtrise industrielle sans couture et dans le même temps des partenaires qui leur garantissent des marges confortables ? Les Italiens fabriquent 25% moins chers que les Français et déploient une habile « combinazione » de créativité, de business et de capacités industrielles. En Italie, la filière lunetière fait travailler plus de 15.000 personnes et réalise 13 milliards d’euros de chiffre d’affaires, quand la filière française se réduit à environ 1.600 salariés et réalise 15 fois moins de chiffres d’affaires…
Que reste-t-il à l’industrie lunetière hexagonale qui a raté un double virage : celui de la montée en gamme et celui des licences mondiales ? La France tient encore sa place grâce à des marques créatives — ancestrales et actuelles — qui défendent une singularité stylistique (la French Touch) appréciée dans le monde entier. Plutôt que de s’acharner à défendre une souveraineté industrielle perdue, il serait davantage pertinent de soutenir ces entreprises et des start’up innovantes axées sur les produits bien sûr, mais aussi sur les usages, les services, la distribution… en revendiquant un « made by France Talented » plutôt qu’un « made in France » chimérique. Et il y a urgence, selon le cabinet PwC qui s’est livré en début d’année à un exercice de prospective, la France ne fera plus partie des dix premières économies mondiales en 2030…