Le jeu de l’élastique
Dans le grand bain des réformes qui secouent le pays, les résistances au changement sont attendues et normales, d’autant que tout bouleversement fait inévitablement des perdants.
Dans le grand bain des réformes qui secouent le pays, les résistances au changement sont attendues et normales, d’autant que tout bouleversement fait inévitablement des perdants. Le secteur de l’optique n’échappe pas à la volonté réformiste du gouvernement qui a fait le choix de « sacrifier » la filière au profit des 15 à 18 % de Français qui renonceraient aux soins optiques. Le calcul est simple pour un gouvernement qui doit financer une promesse de campagne… non financée ! Ce sont donc les opticiens et les derniers industriels hexagonaux qui paieront le tribut à cet engagement politique. « La filière optique aujourd’hui est organisée avec énormément d’opticiens sur le territoire et évidemment cette profession réalise que la réforme risque de changer les équilibres économiques à terme. Il faudra du temps pour que la filière se réorganise. C’est pour cela que les annonces ne peuvent pas être brutales et que la mise en place se fera progressivement sur deux, trois ans, en tout cas avant la fin du quinquennat », a déclaré la ministère de la santé Agnès Buzyn au micro de BFM TV/RMC le 12 avril dernier.
La mobilisation des uns et des autres, pour nécessaire et pertinente qu’elle soit, a peu de chance de faire plier le gouvernement, sinon à la marge. Le marché de l’optique va en effet se métamorphoser aux forceps et va subir ce que d’autres secteurs économiques ont connu : la baisse des prix, des coûts de productions réduits, des gammes de produits simplifiés, des services contenus, une rationalisation marketing/communication pour une préservation des marges. Né dans les années 70, le low cost est aujourd’hui un modèle économique qui a fait ses preuves. Le secteur de l’optique n’a pas d’autres choix que de se « réorganiser » pour citer Agnès Buzyn, en développant des offres et des enseignes à bas coûts en version omnicanale, parce que le low cost est une norme acceptable et comprise par les clients, tous les clients. Quand la filière déclare que la qualité des soins ne sera plus au rendez-vous, qui peut la croire ? Tous les acteurs engagés sont des professionnels soucieux d’apporter le meilleur à leurs clients quel que soit le prix de vente.
Quand les compagnies aériennes low cost sont arrivées sur le marché du transport, les compagnies traditionnelles ont poussé des cris d’orfraie. Pour autant, elles n’ont pas disparu mais se sont adaptées en montant en gamme et en créant souvent… leur propre concurrence à bas coûts ! La société low cost irlandaise Ryanair, fondée en 1984, transporte le plus de passagers au monde (120 millions par an) ; avec 45 % de part de marché en Europe, elle est aussi la plus rentable. Aujourd’hui, la banalisation du low cost dans le transport aérien et une concurrence très vive obligent Ryanair à conquérir de nouveaux clients avec une montée en gamme pour toucher la très lucrative clientèle d’affaires, terrain de chasse favori des compagnies traditionnelles. Le secteur de l’aérien est en effet le plus élastique et le plus opportuniste qui soit en terme de prix, mais il a su répondre efficacement à la démocratisation de l’avion et à gagner beaucoup d’argent, sans sacrifier la sécurité et la performance du transport. Selon les prévisions de l'Association du transport aérien internationale (IATA), les bénéfices cumulés des compagnies aériennes devraient atteindre 38,4 milliards de dollars en 2018, contre 34,5 milliards en 2017…
La filière optique doit accepter (a-t-elle le choix ?) cette mutation pour fidéliser ses clients, en conquérir d’autres, transformer son business modèle pour faire face aux nouvelles réalités du marché qui va imposer (et non pas opposer) bas coûts et haut de gamme, secteur administré et secteur libre. Le mouvement low cost est une chance pour transformer les méthodes de conception, de production et de distribution pour vendre des biens et des services aux prix ajustés pour satisfaire les clients et développer de la marge sans abdiquer sur la qualité des soins. Rendez-vous à la fin du quinquennat pour faire le point sur la « mise en place progressive » (et progressiste ?) de la nouvelle donne…