Très attendue, la publication au Journal Officiel du décret d’application « relatif à l’adaptation de la prescription par l’opticien-lunetier lors de la première délivrance de verres correcteurs ou de lentilles de contact » a été diversement accueillie. Si les syndicats d’opticiens s’en félicitent, en revanche ophtalmologistes et orthoptistes voient rouge et réclament son annulation.

Guetté depuis mi-2023, le décret d’application concernant spécifiquement l’adaptation des primo-prescriptions inscrite dans la loi Rist (du nom de la députée Stéphanie Rist) a été publié au Journal Officiel du 28 juin. Les modalités pratiques d’adaptation des ordonnances en première délivrance sont désormais les suivantes : sauf opposition du prescripteur indiquée noir sur blanc sur l’ordonnance et sous réserve d’avoir obtenu sa réponse favorable par écrit (à défaut de réponse sous dix jours du prescripteur sollicité, la demande sera réputée favorable), l’opticien peut adapter les corrections prescrites lors d’une première délivrance de verres (ou de lentilles correctrices), et ce après la réalisation en amont d’un examen de la réfraction. Cette communication entre le praticien et l’opticien doit se faire via une messagerie sécurisée ou tout moyen permettant de garantir la confidentialité des échanges. Par ailleurs, la réponse du prescripteur doit être archivée jusqu’à l’expiration de la durée de validité de l’ordonnance. Voilà pour l’aspect pratico-pratique.

Si la Fédération nationale des opticiens de France a immédiatement communiqué à ses adhérents ce nouveau mode opératoire et le Rassemblement des opticiens de France salué « une avancée notable » dans la coopération avec les ophtalmologistes et les orthoptistes, ces derniers sont, eux, dans un tout autre état d’esprit. Ils ne voient pas du tout ce décret du même oeil : « Le SNOF, le SNAO, ainsi que les CNP Orthoptie et Ophtalmologie alertent sur une réécriture unilatérale et dangereuse du décret d'application de la loi Rist, sans concertation préalable. Ce nouveau texte, en contradiction avec les accords préalablement établis lors des réunions de travail avec le Ministère de la santé met en péril la santé visuelle des patients », peut-on lire dans un communiqué conjoint desdites organisations professionnelles. Ce qui est problématique à leurs yeux, c’est le point particulier de la non-réponse sous dix jours : « L’absence de réponse dans un délai de dix jours ne peut pas valoir accord ! C’est inacceptable ! », s’indignent Mélanie Ordinès (SNAO) et Vincent Dédès (SNOF), deux des signataires contactés par notre rédaction ce matin. Ils y sont à ce point opposés qu’ils réclament purement et simplement l'annulation du décret auprès du Conseil d’État.

Ce qui est en jeu, selon eux, c’est « une perte de chances pour les patients ». Ils craignent ainsi « de nombreuses situations conflictuelles et contentieuses » et voient dans ce texte publié au JO un « abandon du dialogue » entre les acteurs de la filière visuelle : « Le décret marque une claire régression dans la coordination et l’échange d’information entre opticiens et ophtalmologistes, pourtant déjà déficiente pour le renouvellement optique », s’alarment d’une même voix les représentants des instances professionnelles citées plus haut, SNAO et SNOF en tête. Et d’enfoncer le clou : « Le soutien de certains représentants des opticiens à cette modification du décret démontre leur grande ignorance des pathologies oculaires graves, pouvant entrainer une modification de la réfraction (puissance des verres correcteurs) et nécessitant un avis médical spécialisé : glaucome, diabète, cataracte, kératocône, etc. Leur motivation semble donc guidée par intérêt financier et la volonté de se soustraire au contrôle médical des professionnels de santé. » Bref, ce décret sème visiblement la discorde entre les uns et les autres, et ce sera au Conseil d’État de trancher prochainement. Ophtalmologistes et orthoptistes ont deux mois pour déposer un recours auprès de l’institution, dont la réponse, généralement, intervient assez rapidement dans la foulée.

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