Premier rendez-vous du genre, les États généraux de la myopie ont permis, hier 18 novembre, de dresser un état des lieux de la prévalence grandissante de la myopie en France et dans le monde. Et d’acter officiellement la mobilisation générale des acteurs de la filière visuelle autour de cette amétropie qui pourrait, un jour prochain, être requalifiée en maladie.

« Ils sont venus, ils sont tous là… » On aurait pu entonner la fameuse ritournelle de Charles Aznavour en découvrant les différents intervenants de la 1ère édition des États généraux de la myopie, qui se sont tenus hier 18 novembre à Paris : chercheurs, associations de personnes atteintes de myopies fortes, représentants des 3 "O", pédiatres, mais aussi, bien sûr, enseignes et industriels de la filière (verriers, laboratoires de contactologie) qui sponsorisaient l’événement. Sur fond d’appel à la mobilisation générale de la société sur cet « enjeu de santé sous-estimé », toutes les parties prenantes de cette manifestation ont donc tenu à afficher leur implication, en présence de quelque 200 personnes.  « On a tous un rôle à jouer pour enrayer cette spirale de la myopie », a déclaré le Dr Bruno Assouly, à la tête de l’Institut d’Éducation Médicale et de Prévention (IEMP) qui a impulsé ce rendez-vous, le premier du genre. « L’épidémie de myopie n’est pas une fatalité », a-t-il encore insisté, avant la présentation d’un panorama chiffré de la prévalence grandissante de ce trouble de la vision partout dans le monde. Selon les projections de l’Holden Vision Institute, un organisme de recherches australien pionnier et référence dans le domaine de la myopie infantile, une personne sur deux sera myope d’ici 2050. Soit 5 milliards de personnes.

En France, en 2020, on évaluait à 35 % le nombre de porteurs myopes. Toujours dans l’Hexagone, 20 % d’enfants sont concernés, et 28 % pourraient l’être à l’horizon 2050. La faute, notamment, à la surexposition aux écrans. Les ophtalmologistes se sont-ils pleinement appropriés les solutions thérapeutiques de freination de la myopie qui ont vu le jour ces dernières années ? À cette question, une étude inédite menée auprès de 1 268 de ses membres par le SNOF a apporté des éléments de réponse : 90 % des ophtalmos prescriraient actuellement l’un ou l’autre des moyens de contrôle de la myopie infantile. Dans le détail, les verres freinateurs arrivent en tête des solutions de freination adoptées par les ophtalmologistes (92 % des répondants), devant les conseils d’hygiène de vie (68 %), l’orthokératologie (31 %), les lentilles freinatrices de jour (29 %) et les collyres à base d’atropine (24 %). « Il y a une implication importante des ophtalmos sur ce sujet », en a conclu le Dr Vincent Dedes, président du SNOF.

La question la plus intéressante soulevée par les échanges lors de cet événement portait sans nul doute sur la perception actuelle et à venir de la myopie. Aux États-Unis, elle a ainsi été requalifiée en maladie, ce qui permet, selon le terme employé par le Dr Thierry Bour, de « débanaliser » cette amétropie. Ce n’est pas le cas en Europe ni en France, et pour cause : les autorités sanitaires ne se sont pas vraiment penchées sur le sujet qu'elles semblent... ne pas voir. À les écouter, la plupart des participants paraissent favorables à cette évolution observée outre-Atlantique, car elle « pourrait faire bouger les lignes en France » en matière de politique de prévention et de prise en charge, comme l’a dit l’un des intervenants. Aux manettes de l’association Myopia, Cédric Thein, lui-même touché par une forme très sévère de myopie (qui lui vaut de perdre progressivement la vue), aimerait à terme une vraie reconnaissance de son handicap visuel : « Pour l’heure, les pouvoirs publics n’identifient pas la myopie forte comme une maladie. Donc il n’y a pas de prise en charge étatique ni de politique publique de prévention », regrette l’intéressé.

Président de la Fédération nationale des opticiens de France, Hugues Verdier-Davioud laisse échapper quant à lui une pointe de scepticisme quant à cette éventuelle requalification de la myopie en maladie. Visiblement, il semble craindre l’impact psychologique qu’un tel statut pourrait avoir sur le ressenti des parents ayant des enfants myopes. Évoquant plus largement le rôle des opticiens sur le terrain de la sensibilisation, ce dernier a insisté sur le rôle pédagogique primordial joué par l’opticien auprès des familles : « Les opticiens sont en première ligne parce que nous sommes souvent les premiers interlocuteurs des parents sur cette question de la myopie infantile. Nous informons, nous orientons, nous rassurons ». Et l’intéressé d’appeler de ses voeux la mise en place d’une initiative nationale du genre M’Ta Vue, sur le modèle désormais bien connu de l’opération de sensibilisation en santé bucco-dentaire, M’Tes Dents. Un projet de cette nature recouperait ainsi l’idée de « plots de santé » défendue depuis longtemps par la FNOF, consistant en des visites obligatoires des enfants et des jeunes à des périodes précises de la vie. Pour cela, encore faut-il que les décideurs politiques s’emparent sérieusement, enfin, de la question de la santé visuelle des plus jeunes. Le fait que ces premiers États généraux de la myopie se soient tenus à la Maison de la Chimie, un centre de congrès situé à deux pas du Palais Bourbon qui abrite, faut-il le rappeler, l’Assemblée nationale, n’est d’ailleurs sans doute pas un hasard. Il n’est pas interdit de voir dans le choix de ce lieu-là un appel du pied au pouvoir politique…

Ci-dessus : Les intervenants des États généraux ont officialisé le lancement du collectif "Ensemble contre la myopie" réunissant les principaux acteurs de la filière visuelle, et signé une charte d'engagements.

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